Zaïa, étincelle

 Zaïa est morte.

Son corps n’est plus.

Pourtant elle est partout.

Elle est sur tous les réseaux sociaux.
Elle est dans les commentaires des personnes qui s’y expriment.
Elle est dans la mobilisation des professionnels de l’EHPAD de Crémieu que j’arpente si souvent.
Elle est dans les paroles des habitués du café que je fréquente.
Elle est dans le regard de ses amis que je côtoie.

Elle est là.

J’ai mis le temps avant de pouvoir m’exprimer sur ce sujet, moi si prompte d’ordinaire à vite analyser ce qui se passe autour de moi.

Pourtant, j’avais tout pour le faire, dans mon regard d’alchimiste sociale.

Un évènement terrible qui touche ma cité, mon laboratoire d’analyse à ciel ouvert.
Un lieu de travail dans lequel je connais nombreux acteurs.
Des relations m’ayant permis de suivre dès les premiers instants, quasiment en temps réel, le ressenti des personnes ayant connu Zaïa.
Un contexte professionnel qui me fait travailler justement sur le sujet sociétal hommes/femmes.

Et pourtant, je ne pouvais pas écrire sur ce sujet.
Pas encore.

Alors j’ai fait ce que j’ai appris à faire.
J’ai observé, j’ai écouté.

Aujourd’hui, je comprends pourquoi j’ai eu besoin de ce temps.
Je ne rapporterai pas ce que j’ai entendu ou observé.
Je ne souhaite partager que ce que j’en retire sociologiquement.

Je m'exprime aujourd'hui en tant que femme.

J’ai été Zaïa.
Chaque femme a été, et est encore Zaïa.

Je ne connais pas une femme de mon entourage n’ayant pas subi de soumission parce que femme.
La soumission, ce n’est pas forcément être tuée.
La soumission, c’est devoir agir, s’adapter, par peur.

C’est faire attention à ses paroles pour ne pas froisser, c’est avoir un rapport sexuel pour obtenir la paix conjugale, c’est se taire face à des comportements qui viennent nous toucher dans notre identité propre, c’est se résigner.

Mais face à Zaïa, il y avait Nicolas.
J’ai pris le temps d'écouter comment était décrit Nicolas, à différentes échelles.
Ce qui est dit de lui dans les médias, au bistrot, sur les réseaux sociaux.
Mais aussi ce qui est rapporté de lui par ceux qui le connaissaient.
Et qui ne correspond pas forcément à ce qui est interprété par ceux qui ne le connaissaient pas.

J’ai été face à des Nicolas.
Nous sommes toutes face à des Nicolas, chaque jour.
Chaque homme est un Nicolas.

Non, nous ne sommes pas face à des tueurs.
Nous sommes face à des hommes.
Nous sommes face à des personnes que le système a façonnées.
Ce système moribond.

Un système basé sur la soumission que doit avoir le plus fort physiquement sur le plus faible.
Sur la croyance que « parce que l’homme est plus fort corporellement, il doit forcément avoir plus de pouvoir », et que les femmes, ces êtres sensibles, guidées par leurs ressentis et leurs savoirs bien davantage que par leur force, n’avaient pas lieu d’agir.

Les femmes ont essayé de parler, depuis longtemps.
On les a bâillonnées, contraintes, mariées, mutilées, tuées, brûlées.

Mais jamais elle ne se sont tues.
Elles se sont passé leurs savoirs, discrètement.
Elles se sont regroupées.
Elles se sont parlé.
Elles ont compris.

Et elles ont agi.
D’abord silencieusement, chacune dans son coin.
Puis en s’exprimant, par leurs arts.
En écrivant des livres, en chantant des chansons, en faisant des découvertes scientifiques, en militant pour le droit de vote, en se mettant seins nus lors d’évènements publics, en manifestant…
D’abord seules, puis ensemble.

Mais si elles ont pu le faire, c’est qu’elles avaient des soutiens, des moyens d’action.
Des hommes dans l’ombre.
Ensemble, elles et ils se sont servis du système.

Oui.
Parce que si des femmes ont pu partager leurs savoirs, quel que soit le moyen, c’est grâce à des hommes, qui ont su utiliser leur force pour qu’elles puissent le faire.

Des femmes qui avaient compris qu’elles devaient dire leur vérité, aidées d’hommes qui avaient compris qu’ils avaient les moyens de porter cette vérité.

Des duos parfois inconscients détachés d’égos de protection, de peurs.
Qui avaient compris le système.
Qui ont utilisé le système.

Nous ne changerons pas le système en nourrissant la division hommes/femmes.
Nous changerons le système en créant l’unité.


En acceptant nos erreurs, celles de nos prédécesseurs.
En pardonnant.
En faisant ce que nous savons faire : être.
Partager nos ressentis, nos émotions.
Dire nos vérités.
Ouvrir nos cœurs.

Montrer notre vulnérabilité, exprimer nos ressentis pour que les hommes apprennent à le faire.
Être justes dans nos propos et dans nos actes pour les guider à diriger leur force physique de manière juste à leur tour.
Respecter leur espace pour qu’ils respectent le nôtre.
Communiquer.
Être complémentaires.
Œuvrer ensemble dans une même direction.
Consciemment.
Collectivement.

Tout est déjà là.
La société avance dans ce chemin, même si les acteurs de l'ancien monde tentent de nous contenir.
Les réseaux sociaux y contribuent, en permettant un espace d’expression, dans un sens ou dans un autre.
Toute médaille a son revers, à nous de choisir la face que l’on veut utiliser.

Nous avons le choix :
Ensemble, est-ce qu’on va vers ce qui nous nourrit ou ce qui nous tue ?

Demain, une marche blanche est organisée à Crémieu en hommage à Zaïa.
Chaque personne présente y sera parce que cet évènement tragique a résonné en elle.
Peu importe la raison pour laquelle les marcheurs s'y rendent.
Une cité vibrera ensemble grâce à ses habitants.

Zaïa, l'étincelle.




 

 




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