Hommage à celui qui a permis la plus belle rencontre de ma vie

 J’allais sur mes 20 ans quand j’ai rencontré Julien.

Il venait avec son jeune cheval prendre des cours dans le nouveau centre équestre que je venais d’intégrer.
Il avait l’âge de mon père.
Il me faisait rire avec ce petit cheval, qui me faisait penser à un gosse avide de découvrir la vie, et qui faisait toujours le contraire de ce que Julien lui demandait.
Et pourtant, je les trouvais touchants tous les deux, Julien riait des facéties de sa monture sans réellement lui en vouloir.
Il y avait une belle complicité entre ces deux-là.

Un jour où son cheval était particulièrement inattentif, je vois Julien s’agacer, puis être dépité. Je lui demande si ça va aller…
Il me répond « oui, mais je vois bien que je n’ai pas le temps de le monter, j’ai échangé ce cheval contre une moto, je me disais que mes enfants pourraient monter, mais aucun des 3 ne s’est mis à l’équitation. »
Et là, je m’entends lui répondre sans réfléchir, en rigolant : « ah ben si tu veux, moi je te le monte, ton cheval ».
Pour les non initiés, dans le milieu équestre, quand un propriétaire laisse monter son cheval par une autre personne, cette dernière lui verse une partie de la pension.
En tout cas, c’est ce que je connaissais à ce moment-là.
Et à ce moment-là de ma vie, je suis étudiante, je fais du baby-sitting et des colos pour payer mes cours d’équitation et l’essence de ma 106.
Pas de quoi payer une pension complémentaire, surtout pour monter un cheval qui n’a rien du cheval de mes rêves.
Un cheval qui met 10 kilomètres à s’arrêter quand moi je kiffe les sliding-stops.
Un croisé trotteur-arabe quand moi je fantasme sur les quarters-horse.
Un cheval tout petit quand j’aime parader sur mon Sombrero complice d’alors, du haut duquel je peux toiser tout le monde.

Bref, quand Julien me regarde droit dans les yeux et me dit, espoir marqué dans son regard compris : « oh oui, tu nous rendrais un grand service ! », j’en reste coite.

C’était parti.
J’ai commencé à intégrer la vie de Julien et de son cheval.
Pas de pression, pas d’attente, puisque de toute façon, j’y allais quand je voulais, et que ce n’était pas le type de cheval que j’envisageais pour m’accompagner au cours de ma vie.
Mais c’était quand même le rêve pour une jeune cavalière : pouvoir monter à cheval quand elle voulait.

Un jour, ma mère me dit : « tu sais, peut-être que quand Julien ne pourra plus garder son cheval, il te le vendra à toi ».
Je n’avais alors pas réagi.
C’est entré par une oreille et sorti par l’autre.
Je n’envisageais alors pas d’acheter de cheval, et certainement pas ce type de cheval.

Ok, il me faisait rire, ce cheval, à passer la tête par-dessus les murs de clôture pour regarder ce qu’il se passait.
Ou encore cette fois où lors d’une balade nous sommes tombés sur une voiture embuée dans laquelle un couple s’amusait gaiement. Je revois encore leurs têtes quand ma monture a posé ses naseaux sur le pare-brise.
Ou bien quand il imitait Noisette, la chienne de Julien, à renifler le sol, ce qui me valait des galops improbables avec un cheval tête baissée, nez au sol.
Je passais du bon temps avec lui, sans aucune projection autre que ma prochaine cavalcade dans les champs.

Janvier 2004, je fais une grande fête pour mes 20 ans.
On m’offre un lot de jeux à gratter.
Vers 1H du matin, quand les plus vieux sont partis se coucher et que les moins vieux mettraient un éthylotest en PLS, je me pose pour gratter.
Quand j’arrive au millionnaire, j’étais déjà refaite : j’avais gagné 6€, youhou !
Je gratte le millionnaire.
Et je découvre 10000€ écrit 3 fois.
Mon éthylotest à moi, sponsorisé par la sangria maison de papa, étant légèrement titubant, je relis la consigne 5 fois.
J’appelle papa.
« Dis, tu peux me dire si ce que je pense est vrai ? »
En bon père raisonnable, il a gardé toutes ses capacités cognitives et laissé la sangria à la douzaine de rugbymen présents ce soir-là.
Il regarde, un bon moment, le fameux ticket.
Je le vois sourire.
« Oui, tu as gagné 10000€ ».
Sur le coup, je ne dis rien.
Mais je m’entends dire : « je vais acheter un cheval »

Je vous passe la fin de soirée, qui est repartie de plus belle, une fois que tous les invités restant ont pris connaissance de ma nouvelle richesse, et que oui, apparemment, c’est possible de gagner aux jeux à gratter.

Les semaines ont passé, et la raison avait repris le dessus : ok, c’est bien beau d’acheter un cheval, mais il faut l’entretenir, s’en occuper. Et puis avec le risque de se planter en achetant la monture.
Bref, je relègue ce rêve en second plan.
Et m’achète un snow-board histoire de marquer le coup, quand même, et de me faire plaisir. Non mais.

Peu de temps après, Julien achète une jument.
Il est espagnol et a envie de se remettre à la Doma Vaquera.
Chose impossible avec son petit jeune.
Et c’est alors que la prophétie de maman s’est réalisée : Julien m’a proposé d’acheter son petit jeune.

Young.

Tout était alors en place pour que je ne puisse pas faire autrement qu’accepter.
Je connaissais le cheval, j’avais l’argent, on m’avait proposé un pré, et la somme que me demandait Julien était dérisoire.

Alors, oui, j’ai acheté Young.

Young, mon miroir.
Celui qui m’aura fait grandir.
Celui qui m’aura tout fait déconstruire.
Celui qui m’aura aidée à reconstruire.
Celui qui m’aura guidée à Crémieu.

J’ai perdu contact au fil du temps avec Julien.

Il y a 2 ans, je découvre que sa petite-fille est une des meilleures amies de ma fille, l’Univers était déjà à l’œuvre.
J’apprends que Julien est reparti vivre en Espagne.
Mais qu’il est gravement malade.
Il vient régulièrement en France se faire soigner.

Et je le revois, un jour, lors d’une rencontre sportive.
Un moment chargé en émotions.
Je lui parle de Young, je vois sa joie sur son visage.

Je lui propose de venir le voir.
Mais il n’en aura pas le temps.

Julien est décédé.

Par ce texte, je souhaitais simplement lui rendre hommage.
Le remercier pour son passage dans ma vie, qui aura permis une des plus belles histoires d’amour que j’ai pu connaître, celle d’une femme avec son cheval.
Le cheval de sa vie.
Merci Julien.






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