Chroniques crémolanes, épisode 1 : " Mais pourquoi tu viens remuer la merde ? "

Ces chroniques sont issues de mes observations et de mon analyse personnelle, elles ne sont en aucun cas une vérité absolue.

Je souhaite simplement raconter et partager le regard que je porte sur mon environnement proche, à travers mon vécu et mon parcours.

Crémieu, petite cité médiévale nichée au cœur du Dauphiné isérois.
3312 habitants selon l’INSEE (Ressenti 324895 dès que le soleil sort ou en période touristique).
3312 crémolans. Dont moi depuis 2 ans.

Mais crémolane de cœur, comme beaucoup, depuis 2007, quand j’ai commencé mon nomadisme résidentiel en expérimentant les villages alentours puis implanté mon activité professionnelle au sein de la cité, face à ses halles emblématiques en 2009 pour finalement poser valises, chien et enfants dans les remparts en 2022.

Voilà pour le décor visuel (ruelles étroites, murs en pierres et troubadours compris).

Depuis quelques semaines, Crémieu est en ébullition.
C’est ZE sujet.

Le maire historique ne le sera peut-être bientôt plus.
Au-delà du fait que nous entrons en période électorale de manière anticipée, 2 ans avant l’échéance habituelle, c’est une nouvelle ère qui s’ouvrirait s’il venait à perdre sa place.
Place qu’il occupe depuis l’année de ma naissance. Et ouais.
J’ai 40 ans. 

Maire LR, ancien député.
Le politicien par excellence.

Voilà pour le décor politique (démocratie cloisonnée et gestion patriarcale comprises)

Pourquoi ai-je eu envie de conter le récit électo-socio-dramatico-potino-historique qui s’écrit sous mes yeux ?

Déjà, j’aime écrire. C’est une manière pour moi d’accéder à mes propres pensées. Et d’en analyser le contenu.
Et puis parce que j’aime ces moments de changement, de bascule. Ils sont porteurs de renouveau à mes yeux.

Je ne suis pas une « professionnelle » de la politique au sens France Travail du terme.
Si on se fie au CV, vous me diriez « menteuse » ! Formée en démocratie participative, passage par Sciences-Po, ex-conseillère municipale, ex-responsable de la commission santé d’un parti politique, incursion discrète au sein de la campagne présidentielle de 2022, collaboration avec des députés, formation des élus…
Je ne suis pas une professionnelle de la politique dans le sens où je ne cherche pas à en faire une carrière. Je ne le souhaite surtout plus. 
Moi mon truc c’est les vieux. Du moins le changement de regard sur la vieillesse.

Par contre, je suis une fan de la vraie politique, au sens noble du terme, celle qui consiste à œuvrer pour un vivre ensemble dans le respect des individualités.
Et ça c’est mon activité professionnelle, accompagner le changement des organisations. Dans mon domaine, ça passe par les établissements de santé, les habitats partagés, les tiers-lieux en tous genres...
Alors forcément, observer ce qui se passe dans mon propre écosystème quotidien, est plutôt formateur ! Le pied pour une formatrice, exit le compte CPF !

Pour cette première chronique, commençons par le commencement, voulez-vous.

Il y a quelques semaines, avant l’annonce des élections municipales à venir, j’ai fait un post sur le groupe Facebook local.
Groupe rassemblant 9000 crémolans et fans de la cité médiévale. Ce groupe a pris aujourd'hui une direction touristique, publicitaire, d'annonces de tous types et d'entraide quotidienne. Le débat y est devenu rare car vecteur d'agressivité.

Or moi, le débat j'aime ça.
Parce que c'est la seule chose qui fait bouger un collectif.

J'ai donc tenté, après échange avec une administratrice de ce groupe, un post test. Ce n'était pas mon souhait mais c'est ce qu'il s'est avéré être rétrospectivement.

En face de chez moi, il y a un pré immense. Un poumon vert.
Ce pré n’est ouvert que pour les Médiévales (nos Jeux Olympiques à nous, je reviendrai dessus certainement dans une autre chronique) et pour quelques évènements ponctuels.
Et pourtant, il est doté de gradins, il est arboré, avec un accès à l’eau.
Ah si, je ne suis pas juste. Il a bien été ouvert de manière expérimentale cet été, certains week-end en journée, entre 10H et 12H puis 14H-18H. Idéal en pleine canicule, n’est-ce pas. Perso, moi c’est le soir que j’aurais aimé y aller. Bref.

J’y vais dans ce pré. Avec mon chien. Je prends le soleil l’hiver et la fraîcheur nocturne l’été.
Je suis une délinquante assumée.
Mais me sens complètement légitime : je paie des impôts pour son entretien, je ramasse des déchets si j’en trouve.
Et je ne suis pas la seule.

Sur Facebook, j’interroge mes concitoyens sur leur vision de ce pré, sur leurs envies. Et je fais un truc qui va déclencher la foudre :  j’ose ne demander qu’aux crémolans de répondre. Ben ouais, je pars bêtement du principe que ce sont en priorité les personnes concernées quotidiennement qui sont légitimes pour répondre, l'accueil touristique n'arrivant que dans un second temps. Je ne vais pas aller donner mon avis sur les horaires de ramassage des poubelles d'une commune voisine. 
Que n’avais-je pas fait ?!
52 commentaires…
Des habitants voisins outrés d’être exclus de cette conversation, des crémolans heureux de pouvoir échanger enfin sur ce sujet, des messages privés m’accusant d’entrer en campagne…

Wahou !

La boîte de pandore avait été défoncée !
Dans les jours qui ont suivi, on est venu me dire par différents biais (au café, en balade avec mon chien, par message privé, lors de repas avec des amis...) qu’on me pensait en campagne électorale, que la rumeur courait que je voulais « remuer la merde » mais aussi que c’était chouette enfin de donner la parole aux gens, qu’il était temps que ça bouge… Je n’avais rien souhaité de tout ça et voilà qu’on tirait sur le messager !

Quand j’accompagne un établissement de santé à se réorganiser, je sais que c’est à ce moment-là que tout est faisable. C’est au moment où enfin tous les regards vont dans le même sens : « euh maintenant qu’on a soulevé le tapis on fait quoi de la poussière ? » Ben moi j’arrive juste avec un balai, ou plutôt un aspi Dyson. Mais c’est pas moi qui le passe. Moi je montre juste comment ça fonctionne.

En accord avec les modérateurs du fameux groupe Facebook, je fais donc le choix de créer un espace de dialogue pour les crémolans. Je crée donc la page « L’agora de Crémieu ».
Un vrai laboratoire expérimental.
A ce jour, nous sommes 90 membres.

Les débuts sont timides mais constructifs. On y parle des horaires de l'extinction de l'éclairage public, de la musique dans les rues (cela fera l'objet d'une chronique spécifique je pense, c'est très révélateur ...), de la vitesse des véhicules ...

Mes constats :

- Un échange, pour qu'il soit constructif et ne parte pas en vrille, doit être cadré. Un cadre ce n'est pas une censure, c'est un espace de parole libre qui respecte chacun. 
J'ai donc proposé ce cadre en ouverture de groupe. 
Sauf que...
Ben dans les accompagnements professionnels que je fais, on vient me chercher pour faire émerger la parole, c'est ce qu'on attend de moi.
Là, non seulement personne n'attendait rien, mais en plus je viens et je pose des règles alors que je dis que  la parole est libre! 
Forcément, cela a paru autoritaire à certaines personnes non initiées. Quelques échanges en privé ont permis d'expliquer la démarche et de comprendre le rôle de ces règles (du style "pas de jugement", "chaque parole est équivalente" etc...)
J'ai donc revu ma manière de faire les posts afin de pouvoir partager mon avis sans être associée à la question.

- Il y a du monde qui lit, qui commente en privé, qui me parle en me croisant dans les rues .. mais peu qui osent répondre de manière publique. Comme si donner son avis était un risque.
Ce ne sont pas que les 40 ans d'autocratie crémolane qui en sont la cause. 
C'est un constat général, et ce n'est pas la restriction de la liberté d'expression actuelle qui ira dire le contraire. 
Une amie m'a même dit qu'elle aurait des problèmes si elle parlait.
Je vous rappelle qu'on parle de sujets type crottes de chien dans les rues, stationnements relous sur la chaussée et musique de Sardou dans les oreilles les jours de marché.

- Au final, la parole se libère peu à peu, mais de manière encore confidentielle. On vient m'en parler à moi. Ou on me rapporte , sans que je ne le demande ou le souhaite, que tel sujet a été évoqué dans une soirée entre voisins. 
Là encore, c'est un sacré reflet de la société d'aujourd'hui. 
Il y a l'image publique, ce qu'on laisse à montrer aux autres, et les interactions privées. 
Et il est souvent difficile, selon le contexte, son job, sa position sociale, d'aligner pensées individuelles, liées à un ressenti propre ( "Ouais alors la musique d'Aya Nakamura (première fois de ma vie que j'écris ce patronyme dis donc) c'est pas fifou, j'y panne rien du tout") à la posture qu'on s'est choisie publiquement ("Mais j'adoooooooooore Aya Nakamura (2ème fois, truc de ouf), sa manière de parler de la conjoncture sociétale à travers ses textes engagés en font la digne héritière de notre Edith Piaf nationale, notre présidieu Macron a tellement raison, il nous la faut en ouverture des JO!")
Et ça, ben ça fonctionne pareil dans un village.
Et à la différence des propos tenus via Twitter ou Tik-Tok qui "protègent" virtuellement, là, ce sont des idées parfois à l'encontre de son voisin, de son boucher ou pire, son maire...
Et ça, c'est moins facile à assumer. 

On m'accuse de remuer la merde.
Cool, ça signifie qu'il y a de la merde.
A nous tous de nous retrousser les manches et d'enfin la nettoyer.

Suite au prochain épisode...




























Commentaires

  1. Merci de prendre la parole de manière si constructive et de nous inviter à faire de même. En effet l'on ne pourra qu'avancer pour du mieux vivre ensemble grâce à cela !

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