Innocence enfantine et objet interdit aux moins de 18 ans
J’ai 6 ou 7 ans
Ça fait pas longtemps que maman me donne de l’argent de poche.
Avec, j’achète des fraises tagadas, mais surtout des Picsou Magazines, à la presse en face de l’école. C’est toujours accompagnée de papa que j’y vais, quand il achète le Télé Loisirs.
Un jour, j’entends que mes parents vont fêter leur anniversaire de mariage.
Et si je leur faisais un cadeau ?!
Ça tombe bien, j’ai quelques francs d’avance - ma boulimie de bonbons et de lectures philosophiques étant apaisée temporairement-.
Alors un soir après l’école, avant de rejoindre maman dans son cabinet d’orthophonie en attendant que papa me récupère, je traverse la rue, et file à la presse. Toute seule comme une grande.
Ils ont plein de petites babioles, pas trop chères, je trouverai bien quelque chose !
Je suis toute contente de ma surprise à venir, et c’est toute souriante que je regarde les trésors exposés dans la vitrine.
Et là, je vois un truc super joli.
On dirait ce que papa met sur la bouteille de Pastis pour se servir quand il boit l’apéro le dimanche. C’est transparent, c’est beau, il y a de jolies ailes.
Je demande au monsieur de la presse si c’est bien pour servir l’apéro, ça.
Il me répond « oui oui ».
Je regarde mes pièces : génial, ça passe !
J’attrape donc ce si bel objet, et le dépose fièrement sur le comptoir, tout en demandant au monsieur s’il peut faire un paquet cadeau.
Il s’exécute docilement.
Son regard et son sourire me paraissent bizarres mais je me dis qu’il doit juste trouver chouette qu’un enfant fasse un cadeau à ses parents.
Et c’est toute heureuse que je range précieusement mon achat dans mon cartable et que je file au cabinet de maman.
Le lendemain, c’est le grand jour, c’est l’anniversaire de mariage de papa et maman !
Je suis tellement contente de leur faire un cadeau !
J’attends qu’ils soient réunis dans la maison, je récupère le paquet que j’avais planqué dans mes Barbies, et je m’avance vers eux avec beaucoup de fierté et de joie en leur disant « Bon anniversaire de mariage ! »
Ils sont surpris, mais émus je crois.
Je leur donne mon précieux trésor, j’ai hâte qu’ils voient comme il est beau cet objet ! Ça sera tellement joli sur la bouteille de papa quand les voisins viendront boire un coup !
Ils l’ouvrent.
Un silence.
2 sourires.
2 "merci".
Et c’est tout.
Je suis tellement à ma joie du moment que je ne vois pas la gêne dans le regard de mes parents.
Ni qu’ils rangent discrètement l’objet dans le placard, sans l’installer sur la bouteille de Pastis.
Et encore moins que cet objet ne sortira pas du placard.
J’ai 18 ou 19 ans
C’est samedi aprèm, je suis revenue du cheval, et j’ai une soirée de prévue avec tous les copains, et on s’est mis en tête de faire des cocktails multicolores.
J’ai trouvé une idée de recettes dans le Télé Loisirs de cette semaine, ça tombe bien, mais ils demandent du curaçao.
Mon argent de poche passant dans l’essence de ma 106 et dans mes cours d’équitation, je m’empresse de regarder le stock familial avant d’envisager toute dépense superflue.
Je fouille donc dans le placard apéro.
Et je tombe sur un objet étrange, planqué au fond.
Il est transparent, il y a des ailes, et on dirait un truc pour servir le Pastis.
Je regarde mieux.
Et j’éclate de rire.
J’ai dans mes mains une couille à pastis qui a la forme d’un pénis avec des ailes.
Et d’un coup, le flash.
Le cadeau.
Putain c’est moi qui ai offert ça à mes parents.
Tout me revient.
La honte m’envahit immédiatement. Un sexe, quoi.
Comment ai-je pu faire ça ? Et comment a-t-on pu me laisser acheter un truc pareil ?
Je redépose l’objet prohibé aux moins de 18 ans dans le placard et décide de ne jamais en parler à mes parents pour enfouir ma honte bien loin.
J’ai 41 ans
Je me pose des questions sur les secrets enfouis, sur la honte, sur la sincérité et sur la libération par la vérité et l’expression des sentiments.
Oui, oui, c’est un sujet un peu plus profond qu’une couille à Pastis, j'en conviens.
Ce souvenir, je le raconte volontiers aujourd’hui, ça fait marrer mes filles et tous ceux à qui je le narre, hilares d’imaginer la tronche de mes parents à l’ouverture du paquet.
J’en parle à tout le monde.
Enfin presque.
Jamais je ne l’avais fait avec mes parents.
Trop la honte quoi.
Déjà, on ne parlait pas de sexe à la maison, mais alors revenir plus tard sur un truc terminé depuis longtemps qui parlerait de pénis ailé, non merci.
Et puis sincèrement, ce truc me faisait tellement honte que j’en étais venue à me demander si je ne l’avais pas rêvé. Je l’avais tellement enfoui que je ne savais même plus si c’était la réalité.
En repensant à ce souvenir il y a peu, j’ai percuté que je n’avais plus honte.
Ben ouais, j’étais enfant, je ne savais pas. J’étais dans toute mon innocence et ma joie du moment. Je n’attendais rien en retour.
D’ailleurs, la preuve en est que jamais je ne me suis demandée pourquoi mes parents n’utilisaient pas mon cadeau.
Je l’ai oublié cet objet.
Bon par contre, restait la question de « j’ai vraiment fait ça ? »
Une seule personne pouvait y répondre.
Un échange de SMS a suffi :
« Maman, j’ai une question très importante à te poser, un truc que je garde pour moi depuis bien trop longtemps…
Est-ce que quand j’étais petite je vous ai offert une couille à Pastis en forme de pénis avec des ailes ? »
Croyez-le ou pas, je stressais de la réponse.
Qui n’a pas tardé :
« Oui. Visiblement tu n’avais vu que l’usage… et n’avais aucune idée de ce que ça représentait. Je dois l’avoir encore quelque part ! »
Et voilà, fin du game.
35 piges après, quoi.
Pour fêter ça, dès que ma mère a retrouvé l’objet, je vous invite à boire un Pastis à la maison dans un pénis transparent avec des ailes.
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