Nos enfants nous élèvent

 Je me souviens précisément du moment où je me suis pris cette vérité en pleine tronche.

On s'en souvient tous dans la famille.

J'avais déjà bien cheminé niveau remise en question de l'éducation de mes filles, à ne plus suivre les dogmes familiaux qui allaient contre certaines de mes valeurs. Je m'étais formée en communication non violente et avais déjà mis en application pas mal de changements.

Mais ce jour-là, tout a valsé, dans tous les sens du terme.

C'était il y a quasiment 3 ans.
Mélia, ma fille de 11 ans alors n'avait pas souhaité petit-déjeuner.
Ok, ça peut arriver, pas de soucis.
Midi, elle ne veut pas manger non plus.
ça commence à me titiller, m'agacer.
Elle n'était pas malade, elle était pépouze dans son lit, tranquille.
Elle n'avait juste pas faim.
Mais elle n'avait toujours pas mangé.

Vers 15h, je n'y tiens plus, je monte dans sa chambre, et lui demande de descendre manger un truc.
Elle me répond, toujours calme, "non merci je n'ai pas faim".
Et là, je sens que ça commence à monter en moi, une colère qui bouillonne et qui ne demande qu'à sortir...
" Comment ça t'a pas faim ? Pourquoi t'as pas faim ? Il faut que tu manges !" Mon ton est ferme, je commence à être franchement énervée, je ne peux pas concevoir qu'elle n'aie pas faim.
"Ben j'en sais rien, j'ai juste pas faim, je mangerai plus tard!"

Et là, mon cerveau vrille.
"MAIS C'EST PAS POSSIBLE, TU DOIS MANGER, C'EST PAS NORMAL! TU DESCENDS IMMEDIATEMENT MANGER!!!"
Incrédulité de Mélia devant mon comportement.
Et forcément, réponse immédiate du berger à la bergère.
"MAIS TU COMPRENDS PAS QUE J'AI PAS FAIM ? JE VERRAI PLUS TARD !!!"

Et là, je fais un truc juste WTF.
Je lui attrape ses Barbies avec lesquelles elle jouait, Barbies qu'elle avait attachées les unes aux autres (elles devaient être dans une ascension montagnesque quelconque...), et je les jette par la fenêtre.
Du 2 ème étage.
Oui, Mesdames et Messieurs.
J'ai balancé 6 ou 7 Barbies par la fenêtre, sur la route.

Hurlements de Mélia (tu m'étonnes !).
Elle saute de son lit et descends récupérer ses Barbies fissa.

Et moi, je suis sonnée par ce qui vient de se passer.
Je descends, ma colère vient de partir d'un coup.
Je croise Mélia qui pleure et qui va s'enfermer dans sa chambre.

Je n'ai rien compris à ce qui venait de se passer.
Je suis vidée de tout, je ne ressens plus rien.
Il me faudra quelques minutes pour réaliser.

J'ai honte.
Mais qu'est-ce que j'ai fait ?
Moi qui prône la bienveillance, blablabla... Je viens d'avoir un geste d'une violence inouïe.
Envers mon propre enfant.

Je ne me rappelle plus au bout de combien de temps j'ai réussi à rassembler mon courage pour aller toquer à la porte de ma fille et lui présenter mes excuses.
Elle garde sa porte fermée.
Elle ne veut plus me parler.
Je ferais pareil à sa place...

Elle est restée silencieuse avec moi plusieurs heures, et est restée fermée plusieurs jours.
Je n'ai pas insisté.

Mais je ne pouvais pas risquer de reproduire ce comportement.
Pourquoi j'avais fait ça ?
Je devais rembobiner le fil de mon comportement et de mes peurs.
Je vous passe tout le cheminement.
J'avais simplement cherché à contrôler ma fille.
Contrôler son corps.

Elle-même savait qu'elle n'avait pas faim.
Son corps ne réclamait pas de nourriture.
Je ne l'ai pas écoutée.
Je ne l'ai pas crue.
Alors ok, on peut me donner des circonstances atténuantes, y'a pas mort d'homme, ça partait d'un bon sentiment etc...
Non.

C'est à partir de ce jour-là que jamais je n'ai remis en question la faim de mes enfants, ainsi que la mienne.
Cela a même changé ma manière de former les soignants que j'accompagne (ben oui, cordonnier, mal chaussé, toussa...) pour leur enseigner le respect de la faim des personnes fragiles qu'ils prennent en charge.

Et surtout au-delà de ça, cela a remis en question toute ma prise en compte de la parole de tous les enfants.
Il existe une réalité bien plus grande : les enfants disent toujours la vérité.
Surtout avant 7 ans, quand ils ne sont pas matrixés par les règles sociales ou générationnelles.
ça marche pour les repas (tiens toi droit, on mange à midi, ne grignote pas, le sucré à la fin des repas...), mais également pour tous leurs ressentis (combien d'enfants se sont retrouvés avec 7 couches de vêtements parce que maman avait froid ?).

Les enfants énoncent la réalité telle qu'ils la voient et la ressentent.
"Je n'ai pas faim" "Je n'ai pas sommeil" "tu as dit un gros mot" "je ne veux pas m'habiller comme ça" "j'aime pas les haricots verts"

La question est simplement :
Qui n'écoute-t-on pas, nous adultes, quand on ignore leurs ressentis ? Nos enfants ?
Ou nous-même ?

Les enfants sont purs, ils sont dans l'émotionnel.
Ils nous montrent la vérité.
Ils nous enseignent la simplicité.
Ils sont nos maîtres.
Ils nous élèvent.

Aujourd'hui, cet épisode nous fait beaucoup rire. On se prend à imaginer les Barbies faire un vol plané et surtout les automobilistes voir dégringoler les poupées. Je vous rassure, aucun accident n'a été déploré, ni côté voitures, ni côté Barbies, celle qui était amputée l'était déjà en amont ^^


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