Il y a 10 ans, le 1er voyage

Je suis devant l'aéroport, mon amie Fanny vient de me déposer.

Je ne sais pas ce que je fous là, et en même temps je n'ai jamais été aussi sûre de moi.
Dans ma valise, des santiags, des éperons, un duvet -5° des fringues toutes saisons et une liseuse pleine à craquer.
Dans ma tête, des questions.

Quand j'ai reçu l'argent du divorce, je savais qu'il fallait que je parte.
Je savais aussi que je partirai en compagnie des chevaux.
J'étais prête à claquer toute la somme.

La seule contrainte serait la garde de mes enfants.
Ma seule réalité.

Pour le reste : le pays, le montant, le niveau... Rien à foutre, il fallait que je m'en aille.
Seule.
Toute seule.

ça tombe bien, mon amie Laure travaille dans une agence de voyage spécialisée dans les voyages à cheval.
Elle connaît mon niveau.
Elle me conseille.

Dans le top 3 restent : le Pérou, avec le Machu Picchu en solo avec un cheval de bât, la Mongolie, et le convoyage de bétail dans le Montana.
Question de logistique enfantine, ce sera le Montana.
Mon choix a sans doute été également guidé inconsciemment par ces images de Brad gravées en moi en pleine galopade dans "Légendes d'Automne"...

Je parle anglais comme une vache espagnole.
Je ne suis jamais partie seule.
Mais je réserve.
Première folie de toute ma vie.
Première sortie des rails.

Plus de 2 semaines à convoyer 500 vaches entre leur ranch d'hivernage et les premiers pâturages de printemps.

J'aurais mille anecdotes à raconter sur ce voyage...

Le trajet aux côtés d'un thésard allemand qui allait étudier les langues autochtones de l'Alaska et dont j'ai remis toute la théorie en doute en lui demandant s'il avait intégré la question de la dysphasie dans son étude.

La rencontre avec Stéphanie, qui m'a prise pour Valérie Bonneton à l'aéroport et qui était subjuguée qu'une star parte avec elle dans le Montana.

La première fois que je pose mes fesses sur un quarter horse pur jus de là-bas et que le cow-boy me demande, enfin ce que je comprends, d'aller pécho telle vache là-bas, et que je dégoupille la grenade que j'ai sous le capot.

La tentative d'allumer avec du PQ mouillé le pauvre poële dans la tente.

Les 9H à cheval par jour, et les courses poursuite avec les veaux, qui m'auront fait découvrir un canyon 2 mètres avant le grand vide, faute d'avoir compris la consigne du boss en raison de son accent qui aurait fait passer Dany Boon des chtis pour un professeur de français si nous devions comparer les langues.

La cuite mémorable au whisky avec les ranchers qui m'a fait sortir de la tente la nuit pour vomir, et constater d'une part le lendemain qu'un ours brun était venu se délecter dudit vomi et d'autre part qu'il ne me sera plus jamais possible d'ingurgiter le moindre verre de whisky.

L'incompréhension des américains face à une française qui ne mangeait pas de fromage.

Mais il y a 2 moments que je souhaiterais partager.
Ceux qui ont fait que ce voyage était finalement bien plus intérieur que prévu.

Le premier était ce moment de pause, entre 2 convoyages, où posée sur cette pierre, je lisais "2 petits pas sur le sable mouillé".
On m'a prise en photo à ce moment-là.
Parce que je pleurais.
Je n'avais pas vu qu'on me scrutait. 
J'étais seule sur ma pierre.
J'étais seule dans mon monde.
C'était un temps que je m'accordais, au milieu de tous ces temps collectifs.
Ce moment-là, Bernard, un médecin stéphanois qui aura été une des belles rencontres de ce voyage, m'en parle à chaque fois qu'on se parle. 
Inévitablement.
"Avant toi, je ne savais pas qu'on pouvait pleurer en lisant un livre. C'est un moment gravé en moi, la vision de toi sur cette pierre, toute à tes émotions".
Et j'aime avoir laissé cette image de moi. 
Authentique.
J'étais déjà en moi sans le savoir.

L'autre moment, c'est un ressenti.
Je ne sais même pas si je pourrai transcrire avec des mots terrestres une émotion qui ne l'est pas.
C'était lors d'un des derniers jours.
Le bétail était arrivé à destination, les veaux qui devaient naître avaient pointé le bout de leur nez, le marquage au fer rouge était terminé.
Nous sommes partis explorer les alentours, vérifier quelques clôtures, et profiter du soleil printanier.
Là, le devil Canyon, derrière lequel se trouve la réserve des Crows, où il est interdit d'aller si tu as la peau un peu trop blanche et si tu portes un Stetson.
Par ici, le début du parc de Yellowstone.
Nous sommes au milieu de nulle part.
Le paysage mêle montagnes au loin, forêts verdoyantes et grandes étendues vertes.
Sans aucune trace humaine.

Et d'un coup surgissent 2 antilopes.
Mon cerveau se débranche.
Je regarde Stéphanie, à ma gauche.
Je vois que son cerveau vient de faire la même chose que le mien.
Nos chevaux ont dû entendre le "ting" de la déconnexion, ils sont en train de faire chauffer le moteur.
Un coup de mollet et c'est parti.
Course poursuite avec les antilopes.
Aucun but.
Juste partager ça avec la nature.

Je vois Stéphanie qui bifurque avec son antilope à gauche, je pars avec la mienne à droite.
Je sens le vent sur mon visage, je vois le paysage qui défile à une vitesse folle, je ne fais qu'un avec ma monture. 
Même l'antilope a l'air de kiffer le moment.
Puis elle choisit de se retirer.
Je ralentis.
Je suis seule avec mon cheval.
Devant moi un paysage sans limites.
Je m'arrête.
Je laisse mon cheval souffler.
Je laisse mon corps respirer.
D'un coup, je sens les larmes monter.
J'explose en larmes.
Je ne sais pas pourquoi.
Mais ça doit sortir.
Je regarde à 360°.
Je suis complètement seule.
Dans un espace complètement vide.
Et je me sens complètement pleine.
De moi.

Ce moment est gravé en moi à jamais.
Cet instant de plénitude.
Cette boussole qui me guide quand je cherche à me retrouver.

Je suis partie avec des questions, je suis revenue avec des réponses.

C'était il y a 10 ans tout pile.

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