L'histoire vécue par l'orthophoniste dans les cabinets du cabinet...

 

Parce que je crois qu’on a tous un besoin de légèreté, je choisis aujourd’hui de laisser ma dignité de côté et de vous conter un grand moment offert par ma carrière d’orthophoniste.
Cet évènement avait déjà suffisamment d’impact sur moi pour que je m’en épanche alors sur Facebook…

Nous sommes le vendredi 15 septembre 2017, en début d’après-midi.
Je suis seule dans mon cabinet d’orthophonie, mes collègues, ces pantouflardes, ayant préféré un week-end rallongé.

La salle d’attente est vide, je viens de raccompagner mon petit patient de 13H30.
Je suis ravie, j’ai 60 min de pause devant moi, ça fait toujours du bien.
Une heure idéale pour terminer un compte-rendu, préparer la séance suivante, se mettre à jour dans sa compta…
Sauf que bon, en vrai, on la connaît, celle-là, je me fais couler un café et je zone sur les réseaux sociaux.

Je regarde mon planning, je termine à 18H30, les patients vont s’enchaîner.
Vite, je file aux toilettes. C’est quand même mieux de prendre ce temps-là lors d’un trou dans l’agenda plutôt qu’entre deux patients.

J'entre donc dans ce chouette lieu spacieux.
Et je tourne le verrou.
Au moment-même où ma main termine son mouvement, j’ai une apparition divine. Enfin plutôt paternelle que divine, même si mon père est en un sens un Dieu,  celui de la crique ardéchoise et de la blague lourde. Je revois donc mon géniteur divin me dire de ne jamais fermer la porte des WC à clé, surtout quand on est seul. Il faut dire que le cabinet de toilettes de la maison familiale lui a donné raison à plusieurs reprises… Le verrou étant farceur, il a autant emprisonné dans les effluves pétillantes des cabinets les membres de notre famille,  nos amis ainsi que le collègue américain de Papa. Autant vous dire que j’écoutais bien mon père, et n’ai jamais fermé le verrou de nos WC de Genas. Evidemment, il y a eu des petits moments de malaise, parce que je ne fermais vraiment jamais, même quand il y avait du monde, amis ou collègue américain de Papa...

Donc, quand je ferme cette porte à clé dans ce cabinet de toilettes du cabinet d’orthophonie, c’est avec une petite alerte en moi et une légère honte d’avoir désobéi à mon Papa.

Je fais ma petite affaire, je me lave les mains et m’apprête à aller déguster mon délicieux café soluble et lire les derniers potins facebookiens.
Et là, vous l’avez vu venir à 10 kilomètres :  la porte ne s’ouvre pas. Pas du tout. La serrure est complètement morte.

Evidemment, mon téléphone est sagement posé sur mon bureau, loin, bien loin de mon besoin urgent. D’ailleurs, il me nargue ce fourbe, je l’entends sonner. Promis, je ne jugerai plus les gens qui vont aux toilettes avec leur téléphone.
J’analyse la situation rapidement : je suis coincée dans des WC- certes spacieux, merci les normes PMR, mais niveau activité, c’est assez limité- sans outils, sans moyen de communication, mon prochain patient est dans 50 min et la maman qui l’accompagne ne sera certainement pas outillée sauf intervention céleste mais j’y crois moyen.

Un moment, j’envisage presque de forcer la porte avec la brosse à chiottes. Idée rapidement abandonnée, étant donné que lorsque nous avons aménagé cette pièce, nous avions choisi un modèle en plastique, les modèles en bronze n’entrant pas dans notre budget d’alors.

Donc j’attends.
Assise sur mon trône de reine d’un royaume de 4m2.
Heureusement que je ne suis pas claustrophobe.
J’ai bien quelques flashs de mon père à base de « je t’avais prévenue !!! » mais ce qui est fait est fait.
Je me réjouis presque de ne pas avoir fait cette boulette en fin de journée. Un week-end entier ici serait un peu tristounet et inconfortable.

Au bout d’un temps qui me paraît interminable, j’entends la porte d’entrée s’ouvrir.
C’est donc en toute retenue que je m’entends hurler « JE SUIS COINCEE DANS LES TOILETTES !!! »
La maman de mon patient accourt, et c’est ainsi que nous entamons une conversation profonde chacune de notre côté de la porte des WC…
J’essaie de rester calme, afin de lui donner des pistes pour me libérer.
Je me vois en pleine épreuve de Fort-Boyard, tigres et passe-partout en moins.
Nous tentons d’abord de démonter la serrure. Sur mes indications, elle a réussi à trouver le tournevis dans la cuisine.
Au lieu de dénouer la situation, nous cassons définitivement le verrou.

Le plan A, élaboré en amont lors de mon introspection forcée, vient d’échouer.
Place au plan B : l’appel à un ami. J’ai pensé à Paul, mon ami libraire.

C’est donc missionnée comme jamais que la maman part en direction de la librairie.

Quelques minutes plus tard, je l’entends revenir, accompagnée.
Mais ce n’est pas Paul.
C’est une voix que je connais. Elle est assurée et rassurante.
C’est Laurent, notre policier municipal.
Il était dans la librairie et a entendu la panique dans la voix de la maman de mon patient.

Dès son arrivée, je me confonds à travers la serrure en remerciements et excuses pour le dérangement ridicule, et c’est très poliment et sincèrement que je lui propose de défoncer cette porte de l’enfer au pied de biche.
Ce qu’il choisit de ne pas faire, malgré mes encouragements.
Il est très calme, très humble et très réfléchi. Tout l’inverse de moi manifestement.
Il va chercher son couteau suisse de Mac Gyver, il bricole je-ne-sais-quoi dans la serrure et tadaaaaaaaam, au bout de 5 petites minutes, voilà la porte qui s’ouvre sur mon sauveur.

Et là, c’est un phénomène assez étrange qui se produit…
Face à eux, je redeviens instantanément Aurélie l’orthophoniste, la maman redevient la mère de mon patient, et Laurent le policier, au service des citoyens. Et pourtant, 5 minutes auparavant, nous étions liés dans une certaine intimité par la situation exceptionnelle.
Le voile de pudeur et de distance est en train de terminer de reprendre sa place quand je termine de me répandre en excuses et remerciements auprès de mes sauveurs.

Laurent prend congé.
La maman reprend sa place dans la salle d’attente auprès de son fils qui est resté calme et occupé.
Je file boire mon café froid dans mon bureau pour les quelques minutes qui restent.
Et je compte les heures qui me séparent du mojito de ce soir.

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