Pas d’utérus, pas d’avis. Une histoire de différence entre empathie et sympathie.
Cette phrase a été longtemps le mantra asséné à chaque homme un peu trop audacieux à mon goût pour clore une discussion à base d’avis masculins au sujet du féminisme qui allaient à l’encontre de mes pensées d’alors.
Je me prends à ne plus penser cela aujourd’hui.
Il y a encore peu de temps, j’estimais qu’étant donné le fait qu’un homme ne puisse ressentir une douleur de règle, un écartèlement lors de l’accouchement ou la colère à chaque appel de phare de Robert-le-routier qui aime les conductrices en mini-jupe, les avis même donnés en toute bienveillance par un homme était forcément biaisés.
Je me trompais sur deux points.
Tout d’abord, nous formons un tout. Un monde. Un monde d’humains où chacun à sa place, et est complémentaire aux autres, hommes ou femmes, peu importe le genre. Je passe ma vie professionnelle à inculquer la prudence des biais de vision, en raison des interprétations, des projections, des non-dits, des attentes sociétales… Prudence que manifestement je ne m’appliquais pas à moi-même (cordonnier, mal chaussé, toussa toussa).
Et la seconde chose m’est venue lors d’une formation que j’ai donnée cette semaine. J’expliquais les différences entre empathie, sympathie, antipathie et apathie. Je suis partie d’un exemple complètement personnel, que je choisis de vous conter ce soir.
Quand Mélia avait 4 ans, nous avons dû aller chercher un jouet pour un de ses camarades dans un magasin de jouets. En décembre. Un samedi. Je vous laisse imaginer le tableau : guirlandes, montagnes de boîtes de jouets à l’entrée, de la musique ensorceleuse d’enfants, et beaucoup, beaucoup de clients.
Nous entrons, et ça n’a pas traîné, Mélia l’a repérée immédiatement. La poupée de la discorde en puissance, me défiant du regard avec ses yeux fisher price. A l’époque, j’entamais une remise en question de ma manière d’éduquer mes filles, et était en pleine session de stage de communication non violente. Après la théorie, la pratique apparemment. Voilà donc ma Mélia, qui attrape l’objet fatidique et me regarde avec ses yeux de chat potté en me disant « Maman, je veux la poupée ! ». Là, il faut que vous imaginiez environ une quinzaine de parents, en mode arrêt sur image. Je peux presque entendre leurs pensées : « Waou, comment elle va s’en sortir ? » « Mouhahaha, y’a moyen de se marrer dans pas longtemps » « Argh, la pauvre, j’aimerais pas être à sa place » « Ah ben c’est pas à moi que ça arriverait, ça, quelle erreur d’avoir emmené sa fille ! » etc etc…
Plusieurs possibilités de réactions :
Situation n°1, réaction en apathie ( = je ne ressens rien): je l’ignore et m’en vais faire ce pour quoi j’étais venue. Effet : augmentation de la crise. Drame. Honte. Colère. Etc.
Situation n°2, réaction en antipathie ( = je suis contre ton ressenti) : je pars dans un monologue très constructif à base de « mais tu n’en a pas besoin, elle est moche, arrête un peu ton cirque, blablabla ». Effet : augmentation de la crise. Drame. Honte. Colère. Etc. Puissance 20.
Situation n°3, réaction en sympathie ( = je souffre avec). Je fais de son besoin le mien, comme si c’est moi qui ressentais l’envie d’avoir cette poupée, et j’agis en ce sens (même si je pense que la poupée est moche, que Mélia n’en a pas besoin et tout et tout). J’achète la poupée. Je nie mes besoins et mon cadre au passage et celui de mon banquier. Je fuis la crise et l'occasion d'évoluer.
Situation n°4, réaction en empathie ( = je comprends ton ressenti). Celle que j’ai tentée. J’essaie de vous la faire courte (mais bon, sachez qu’en formation, j’arrive à rendre ça assez théâtral apparemment, je vais songer à une nouvelle reconversion) :
« mais comme tu as raison, elle est sacrément chouette cette poupée, je comprends que tu aurais envie de l’avoir à la maison » (là faut imaginer le silence autour de moi, je me demande même si les automates n’ont pas arrêté de jouer Jingle Bells histoire que tout le monde entende bien ce qui peut potentiellement faire exploser la bombe) (à ce stade-là, j’ai pas encore eu l’idée, je suis en galère et je meuble en décrivant ce que je trouve de chouette dans cet objet, c’est-à-dire pas grand-chose) Et d’un coup, l’idée : « et si on prenait la poupée en photo avec toi pour la mettre sur la liste au Père Noël ? » (attente fébrile de la réponse de ma blonde, ceux qui ont connu Mélia à cet âge-là savent) « Oh oui, maman, on fait ça ! » (respiration de nouveau en mode ON) Je jette quelques regards autour de moi, et je lis à la fois de la reconnaissance (d’avoir désamorcé le risque d’augmentation du niveau sonore sans doute), de l’admiration (eh ouais ma poule), et même de la jalousie (je comprends, j’ai pu aussi le ressentir, Rome ne s’est pas fait en un jour). Me voilà donc en train de faire quelques photos de Mélia, la poupée dans les mains et la regarder la reposer bien droite en disant « comme ça le Père Noël il la trouvera bien ». Et watch me quitter le rayon en mode princesse impériale, il ne manquait que l’hymne à la joie et les flammes.
Et parce qu’on m’a demandé le update : non, Mélia n’a pas eu sa poupée pour Noël, quand on a actualisé la liste, elle la trouvait moche. Ce qui m’a conforté dans ma manière de différer son besoin afin de voir s’il était durable dans le temps.
J’ai respecté le besoin d’attention de ma fille et mon besoin de ne pas dépenser un centime pour un objet que je jugeais alors inutile sur le moment, en laissant la possibilité à Mélia de revenir dessus plus tard.
Bref, pourquoi je vous raconte ça ?
Parce que jusque-là , je demandais aux hommes d’être en sympathie pour pouvoir s’exprimer.
Je leur demandais de connaître la douleur de l’endométriose sans utérus ou de supporter les avis permanents non sollicités sur le physique, pour avoir le droit de débattre avec moi. Ce qui est physiquement impossible à l’échelle individuelle.
Par contre, nous sommes tous capables de comprendre l’humiliation ressentie, ou la peur du danger. L’empathie est non seulement possible mais fortement recommandée.
Et c’est par l’écoute des ressentis et émotions des deux « camps » que peuvent se dégager des actes concrets.
Un homme ne peut comprendre la honte d’avoir une tâche de règle, mais il peut comprendre celle de voir son intimité révélée. Il ne peut pas ressentir des contractions utérines, mais il sait ce qu’est de subir une souffrance physique. Il ne sait pas ce que c’est de choisir ses vêtements le matin en fonction des personnes ou des lieux que nous allons fréquenter. Mais il comprend qu’on puisse tenter d’éviter une situation dangereuse.
Tout ça pour dire que j’aime bien cette idée de croisement des regards, à l’échelle individuelle, en miroir des comportements sociétaux. Et que ça donne de chouettes pistes d’évolution.
Et que je ne dirai plus « pas d’utérus, pas d’avis ».
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