J'appartiens à Crémieu

 Depuis quelques jours, je suis propriétaire d’un bien immobilier à Crémieu.

Du moins un tiers de ce lieu m’ « appartient ».

Depuis quelques jours, cet endroit n’appartient plus à la banque.

Il m’a fait beaucoup bosser, cet endroit.

D’abord pour de vrai, de manière officielle, puisqu’il s’agit de mon ex cabinet d’orthophonie.
Avec le recul, ça a été un des rares avantages pécuniers de cette profession libérale : celui de pouvoir acheter facilement son local professionnel grâce à la belle image de ce job sans chômage, gage de garantie financière pour les banques.
Mouhahahah (rire jaune).

Puis il m’a fait bosser sur moi, le bougre.
Puisqu’à un moment je n’étais plus orthophoniste, je n’avais plus de lien officiel avec ce lieu dont je continuais à payer les impôts associés.
Il y a quelques temps, j’ai même envisagé de vendre ma part.
Je ne m’y retrouvais plus.
J’étais en plein déni de toute possession.

Pour moi, rien n’appartient à personne, tout appartient à chacun.
Un acte de propriété n’est qu’un bout de papier.
Croyez bien que le jour où une autoroute desservant des intérêts bien loin de votre réalité devra passer sur votre maison, vous découvrirez assez vite que finalement, effectivement, vous y avez cru, et vous vous êtes bien fait avoir.
La phrase « nous empruntons seulement la terre de nos enfants » était un des piliers de ma pensées d’alors.

J’ai fait faire une estimation du bien.
La vente devrait pouvoir me permettre d’acquérir une belle tiny house, ou un van aménagé grand luxe.
Ce que j’imaginais alors souhaiter.

Toutefois, hors de question de céder ma part à une personne qui dénaturerait le lieu, celui que mes co-propriétaires, et surtout amies, avons construit ensemble.
Un lieu de soin, de sororité, d’entraide, de rires, de partage, de confiance.
Un lieu de paix.

J’avais simplement fait part de mes démarches à mes collègues et locataires.
La vie m’ayant appris que la bonne personne se présentait toujours au moment où on en avait besoin, je suis restée confiante.

Personne ne s’est présenté.

Les mois ont passé.

Le crédit vient d’être terminé.
C’est la première fois de ma vie que mon nom est apposé à côté d’une possession cadastrée sans qu’il n’y ait d’intermédiaire bancaire.
Mon nom = ce lieu.

Et vous savez quoi ?
J’en suis heureuse.
Parce que ce lieu ne m’appartient pas.
C’est moi qui appartiens désormais à ce lieu.

Je n’ai pas acquis un droit.
J’ai obtenu un devoir.
Celui de le préserver, de le chérir, de l’aider à s’expanser, tout en préservant ses belles fondations.

Et au-delà de ça, que mon nom soit désormais administrativement apposé à côté de celui de Crémieu, de manière directe, vient encore ancrer/encrer mon lien si magique avec cette cité qui m’offre chaque jour des instants de joie, simplement par ce qu’elle est.

Cette cité qui m’appelle depuis toute petite.
Quand en rentrant du ski mon papa choisissait de passer par la route, et que je me réveillais systématiquement devant l’église de Crémieu. Pour me rendormir, frustrée, parce qu’il restait alors encore 30 minutes de route.
Quand j’ai suivi Young dans le nord-isère, et qu’il a fini par poser ses sabots à Crémieu, ce lieu où il a guéri de son Cushing depuis qu’il y est.
Cette ville où j’ai créé mon cabinet d’orthophonie, par critère de proximité avec là où je vivais alors, et  où j’ai constaté qu’une fois ma décision prise, tout s’est enchaîné avec une facilité déconcertante.
Cette commune, autour de laquelle j’ai tourné pendant des années sans oser y poser mes valises, et où le soir de mon emménagement, en mars 2022, en tant que locataire, j’ai poussé un soupir de soulagement, comme si enfin j’étais arrivée à destination.

Alors oui, y’a des galères de toits, de fuites, d’assurance, de paperasses.
Mais cela fait partie du package.
J’apprends encore.
Ce lieu va encore m’enseigner des choses que je ne sais pas.
Il me fait monter une nouvelle marche sur l’échelle de la responsabilité individuelle.

A partir d’aujourd’hui, ce lieu va me rendre sous forme pécuniaire ce que j’ai vu en lui. Je suis heureuse de recevoir cet argent, là où avant je n’y voyais que capitalisme et possession de l’autre par le pouvoir.
Je suis heureuse parce que je sais qu’il sera employé à bon escient, pour m’aider à continuer à cheminer, quelle que soit la nouvelle destination.

Peut-être qu'il y aura une Tiny ou un van aménagé.
Ce sera le temps qui le dira.
Mais ce sera toujours pour me ramener à Crémieu.



 

 

 

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