10H aux urgences un samedi de décembre, et une demande honorée

 Samedi 21 décembre 2024.

L’heure d’enregistrement de mon dossier aux urgences est 16H48.

Pas de panique, rien de gravissime en soi, puisque la raison de mon entrée dans le service a tout de même permis que je vienne seule, que mes filles aient le temps de me préparer vivres, eau, et livre de 400 pages.

Ben oui, étant engagée dans le domaine de la santé, je ne peux ignorer les difficultés du secteur. J’étais préparée. Mais je ne l’avais pas vécu directement.

Je suis soignante et bien entourée médicalement, je ne consulte jamais pour rien.

Là, je n’avais pas d’autre choix que de m’en remettre aux urgentistes et de passer par la « mine » comme dirait Meredith Grey. 

J’avais lu les articles qui relataient les oubliés des couloirs, les morts de mauvais triages.
J’avais entendu les témoignages des personnes âgées passées par là, ayant laissé parfois leur dignité aux portes du service.
Mais mon dernier passage aux urgences datant d’une dizaine d’années ne m’avait pas fait constater la réalité d’hier.

Je vous spoile direct la fin : je suis sortie à 3h du mat’. 

J’ai compris, ressenti, vécu.
Non pas ma propre souffrance, non.

Mais celle des soignants.

Vous savez, les héros qu’on applaudissait à 20H  il y a encore peu de temps.

J’ai quitté la salle d’attente des urgences à 22h30 pour entrer dans le service.
Il ne me restait plus que 50 pages de mon livre.

La première chose que m’a dite l’infirmière qui m’a prise en charge était « pardon pour l’attente ».
Pardon de quoi ??? 

Oui j’avais attendu presque 6H sur cette chaise inconfortable, au milieu de la toux, de propos divagants, d’allers et venues en tous genres, de poches de glaces, de regards interrogateurs entre chacun… n’osant pas aller aux WC de peur de rater le moment de l’appel et me nourrissant de brownies et de crêpes Whaou préparées par mes filles. 

Mais cette infirmière aux cernes bien trop marquées pour ce qui était son début de service, n’y était pour rien. 

Sur le chemin du box, elle est interpellée par un patient dans le box précédant le mien « Dites ! Il arrive quand le médecin ? ça fait des plombes que j’ai passé ma radio, j’en peux plus, je veux rentrer, là, y’en a marre ! »

Elle s’excuse auprès de lui.
Et de nouveau auprès de moi.
Elle n’y est toujours pour rien.

Je m’installe sur le brancard.
J’attends.
Je termine mon Bussi, qui aura eu le mérite de me faire voyager en Guadeloupe.

Puis, n’ayant aucun réseau téléphonique, je me pose en observatrice. De toute façon, je n’ai rien d’autre à faire. 

J’entends alors les cris de colère de patients à l’accueil des urgences, l’indignation du patient d’à côté devant l’impossibilité de charger son téléphone, la hargne de cet autre qui dit bien fort que c’est un scandale qu’on ne s’occupe pas de lui.

Mais j’entends et vois autre chose aussi.

J’entends les aides-soignantes s’adresser avec beaucoup de bienveillance à cette vieille dame qui a encore chuté.
Je vois cette infirmière qui m’apporte une collation avec un sourire.
J’observe ce médecin intimer à son équipe de prendre le temps de manger, « c’est important, hein ».
J’écoute ce brancardier plaisanter avec le patient qu’il transporte dans le service d’hospitalisation.

Il est près de 00H30 quand je vois enfin un médecin.

Quand je lui explique que je suis autrice et dans la politique publique de santé, immédiatement, elle me dit « vous allez écrire sur ce qui se passe, hein ?! »

Oui, docteur, je vais écrire sur ce qui se passe, non seulement parce que c’est mon job, mais également parce que cela fait partie de ma rééducation post-blessure.
Cette blessure qui m’a amenée aux urgences justement parce que j’avais peur de ne plus pouvoir écrire. 

Alors oui, j’ai passé plus de 10H aux urgences un samedi où j’avais plutôt prévu une soirée du type écriture, piano et bon vin. 

Mais clairement, il y a une raison et j'honore aujourd'hui votre demande Docteur, en posant ces mots.

Et déjà les idées fusent : croisement des regards patients/soignants, mise en place d’une politique d’apprentissage d’auto-médication dès l’école puis tout au long de la vie, pair-aidance entre personnes dont le passif médical a forgé l’expérience et la connaissance…
De quoi nourrir de nombreuses idées, qui n’ont pas spécialement leur place ici.

Je témoigne aujourd’hui de l'humanité que j’ai observée de la part des soignants, malgré les difficultés, malgré la pression, malgré le sentiment d’impuissance.

C’était une soirée riche, très riche.

Et il fallait qu’elle ait lieu hier.

Ce matin, je lis dans la presse que ce service sera désormais fermé la nuit faute de personnel. 

Alors merci à ces soignants, mon modeste témoignage vaudra ce qu’il vaudra, mais il m’aura au moins obligée à affronter ma crainte de ne plus pouvoir utiliser mon clavier.
Et ça, ça vaut tous les soins du monde à mes yeux.






Commentaires

  1. J’en ai fait deux fois la cruelle expérience, concernant ma maman, avec de surcroît une pénurie de médicaments indispensables… Le monde de la santé est réellement en danger. Je suis la série Hippocrate, et j’ai pu me rendre compte qu’il n’y a malheureusement aucune exagération. C’est tellement triste. En effet, la détresse humaine est dans les deux camps. La situation est devenue dramatique. Il y a alerte rouge 🚨
    Je te souhaite une bonne convalescence et de joyeuses fêtes de fin d’année, malgré le contexte 🙏🤍🙏

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