Comment ma grand-mère n’a pas gagné la valise RTL

 

La « valise RTL », pour celles et ceux dont l’évocation de ce concept signifierait qu’ils ont dû passer à côté de cette merveilleuse invention radiophonique en raison de leur jeune âge, était un jeu radio.
Sur RTL, donc.

En gros, à cette époque datant de l’ancien millénaire, chaque jour, il y a une somme définie, qui monte au cours de la journée. Puis à certains moments, une personne est choisie au hasard dans le bottin ( pour les millenials, il s’agit de l’autre terme pour « annuaire », le gros bouquin jaune et blanc avec plein de numéros de téléphone et d’adresses dedans, tu as dû en voir dans le grenier chez Papi et Mamie, c’était avant qu’on invente les internets et les téléphones qui n’avaient pas besoin d’être branchés).
L’animateur radio appelait cette personne, et lui demandait alors si elle connaissait le montant de la valise RTL.
Pour gagner, il suffisait donc de passer sa journée à écouter RTL, noter le montant à chaque changement de nombre, ne pas être sur liste rouge (ça c’était un truc qui empêchait de se faire démarcher, ça n’existe plus aujourd’hui, toi-même tu sais avec les numéros en 09 48 … ) et laisser le destin agir.
Facile, quoi.

Ma grand-mère paternelle était originaire de Haute-Loire.
Elle avait un accent pur jus du cru.
Un accent haut-ligérien si prononcé qu’un jour on m’avait demandé si elle n’était pas québécoise.
Ce détail linguistique va avoir son importance pour la suite.

À l’époque de la valise RTL, c’est-à-dire à l’époque des 45 tours et de l’école des Fans ( si tu as moins de 20 ans, Google est ton ami, tu vas adorer), ma Mamie habitait une maison typique de sa contrée, une maison dont la particularité était de correspondre avec la maison voisine par une porte.
On passait cette porte, et hop, on était dans le garage du voisin.
Cette porte était en outre vitrée. Ça m’a toujours interpelée, j’avais toujours peur qu’on nous surveille, ou qu’on rentre par cette porte. Et ce qui me frappe d’ailleurs quand j’y repense aujourd’hui, c’est que quand ma grand-mère avait besoin de parler à la voisine, elle ne passait jamais par cette porte, mais par l’extérieur, par l’entrée officielle.

Ma grand-mère n’écoutait pas RTL.
Je ne crois pas avoir jamais entendu de la musique ou des informations à la radio chez elle d’ailleurs (mais avoir subi l’école des Fans le dimanche, oui ... ).

Un jour, le téléphone sonne.
Ma grand-mère se dirige vers l’appareil, situé dans le vestibule où se trouve cette fameuse porte mitoyenne, et décroche.
« - Bonjour ! Vous êtes bien Marie-Louise ? (pour des raisons de confidentialité, les noms de famille n’étaient pas donnés, encore un détail important pour la suite de mon récit) »
« - oui, oui, c’est moi, qui est à l’appareil ? »

C’était l’animateur de RTL, qui avait composé le numéro de ma Mamie, manifestement pas sur liste rouge.

S’en suit alors une amorce de conversation visant pour les auditeurs à faire durer un peu le suspense sur la possibilité que la valise RTL tombe…
L’animateur explique donc que c’est la valise RTL, et comment allez-vous Madame, qu’est-ce que vous faites de beau Madame, blablabla…

Au même moment, une auditrice d’RTL, qui note les montants de la valise sur un bloc-notes chaque jour et qui n’est pas sur liste rouge, vient de stopper net ce qu’elle faisait.
Elle connaît cette voix.
Elle connaît cet accent.
Elle sait qui est Marie-Louise.

Elle écoute la suite de la conversation, et comprend rapidement que la Marie-Louise en question, elle a pas du tout le montant de la valise RTL.
Instantanément, l’auditrice court à travers sa maison, traverse le garage et se précipite contre sa porte vitrée.
Ses soupçons sont confirmés quand elle voit alors ma grand-mère au téléphone, derrière la porte, fermée à clé.
Immédiatement, elle tape contre la vitre, très vite, très fort.
Elle a le montant de la valise (en Francs évidemment, c’était avant qu’on invente l’excuse de l’Euro pour valoriser le capitalisme) !

Ma grand-mère, est surprise par cette intrusion, alors qu’elle est occupée au téléphone.
Elle s’agace, et fait signe à sa voisine de se taire.
Cette dernière insiste pourtant, elle a le montant de la valise RTL, enfin !
Devant le refus d’obtempérer de Marie-Louise, elle a une idée.
Elle attrape une feuille et y inscrit le montant de la valise.
Et la plaque contre la vitre.

Pendant ce temps, à la radio, on entend Marie-Louise expliquer que non, elle n’écoute pas la radio, qu’elle n’a pas le montant, que oui, c’est bien dommage. Marie-Louise entend donc à un moment où elle n’avait rien demandé qu’elle était peut-être en train de passer à côté d’une coquette somme.
Et sa voisine qui continue à faire du bruit en plus ! Elle ose même lui montrer un papier à travers la vitre alors qu’elle voit bien qu’elle est occupée, non ?
Marie-Louise décide de lui tourner le dos, bouche son oreille libre.
Termine sa conversation.
Raccroche.
Et ne gagne pas la valise RTL dont le montant était sous ses yeux. 

Cette histoire est complètement vraie.
Elle est toutefois certainement romancée puisque racontée par mes parents, vécue à travers mes yeux d’enfants puis rapportés par mon regard d’adulte.
Mais je l’aime beaucoup, cette histoire familiale.
Généralement, elle précède celle qui raconte le jour où mon grand-père a gagné à la loterie nationale.
C’était le jour où le montant était historiquement le plus bas.

 



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